Gauthier Huber – L’écheveau de la représentation
Le travail d’Hervé Graumann repose essentiellement sur la logique et les effets du monde informatique. Ses œuvres ont une parenté plus thématique que visuelle, car l’artiste, qui incorpore souvent dans son travail des archétypes tirés directement du réel ou de sa représentation, s’intéresse d’abord au contenu que constitue l’action réciproque des médias eux-mêmes.
<L’écheveau de la représentation>
Une œuvre d’Hervé Graumann consistait en une bande vidéo et en un groupe d’objets posés au sol. Le film montrait des individus occupés à de petites choses, et les objets étaient reliés à un programme qui les faisait fonctionner ou non de manière aléatoire. Deux systèmes cohabitaient ainsi, chacun suivant son cours avec indifférence. Le spectateur, quant à lui, qui s’était habitué au <réel> médiatisé par la bande vidéo, et n’y prêtait plus guère d’attention, était toujours surpris quand les objets (artificiels) lui rappelaient leur présence. L’une des caractéristiques de la réalité virtuelle, dont les images peuvent nous apparaître (au sens du spectre), puis disparaître à tout jamais si on ne les <sauve> pas, est d’augmenter son pouvoir en proportion de la vitesse de renouvellement de ses éléments: <Comme la fission et la fusion, les croisements et hybridations des médias libèrent une énergie et une puissance nouvelle immenses>.
En ces questions, la cécité n’est pas inéluctable, pour peu que nous sachions qu’il y a quelque chose à observer> (Marshall McLuhan, 1964). Cette observation, qu’effectue Hervé Graumann, passe par une manipulation éclairée, et la nature du médium qu’il déconstruit apparaît d’autant plus visiblement qu’elle se révèle dans un autre médium. Ainsi, en faisant passer certaines spécificités du médium x dans la sphère du médium y, l’artiste peut éclairer les déterminations d’un contenu z. Dans <Blanc sur Blanc>, par exemple, œuvre non suprématiste mais lexicale, il donne forme à l’effet des méthodes de classement qui, postulant l’exhaustivité en fonction d’un principe aléatoire, mettent sur le même plan des réalités pourtant fort différentes: il s’agit d’une photographie sur laquelle un M. Blanc – qu’Hervé Graumann a sollicité après avoir trouvé son nom dans un annuaire téléphonique – apparaît juché sur les épaules d’un homonyme.
Ou encore, recourant à deux objets issus de l’ère électrique, une lampe et une radio, et leur ajoutant plusieurs interrupteurs, il les dote ainsi d’un attribut majeur de l’ère électronique: le code d’accès. Par le quadrillage intégral d’une photographie, dont il a numéroté les éléments de gauche à droite et de droite à gauche (logique du plotter), il met en évidence le fait qu’avant d’être une image, celle-ci n’est qu’une surface plane ayant été soumise à une opération technique. <Tous les media sont des métaphores actives, en ce qu’ils peuvent traduire l’expérience en des formes nouvelles>, note encore Mc Luhan. Raoul Pictor, le peintre virtuel dont Hervé Graumann a assisté (par ordinateur) la naissance – et qu’il a mis depuis peu sur le web – illustre cela à merveille: œuvrant à l’intérieur de la représentation, il devient la parfaite métaphore de l’artiste contemporain qui, façonné par la Raison Technique, tire de celle-ci toutes ses combinaisons. Dans ce jeu de passe-passe où des simulacres identiques amènent à l’expérience leurs supports hétérogènes, la <réalité> peut faire office de fiction ultime. C’est ce que démontre Hervé Graumann par une série de photographies dans lesquelles des mosaïques de petits objets articulés semblent tirées du canevas d’un programme informatique. Or, ici les objets ont un référent réel, et la perspective vient de la prise de vue si bien que la liste de McLuhan peut s’augmenter d’un nouveau <médium>: l’artiste.
Gauthier Huber, in kunstbulletin – oct 2001